Contexte
Depuis quelques années, l’information des patients et la participation aux décisions, en matière de soins de santé par le biais, notamment, de la prise de décision partagée (PDP, en anglais Shared Decision Making) sont reconnues dans le monde entier comme un élément important de la qualité des systèmes de santé1.2.3.4.5. Or, les préférences individuelles en matière de traitements et de dépistage sont encore mal et insuffisamment prises en compte par la majorité des professionnels de santé.
Le développement d’une offre de services de santé qui respecte pleinement les préférences des usagers est un enjeu de santé publique, car une meilleure prise en compte de ces préférences devrait conduire à une plus grande satisfaction à l’égard du système de santé, de meilleurs résultats en matière de santé, une meilleure qualité de vie des patients, une amélioration des connaissances et de la communication entre le médecin et le patient, une perception plus précise des risques par le patient et enfin, moins d’anxiété et de regret décisionnel6. Ces constats ont conduit au « changement de paradigme », proclamé au milieu des années 1990 par plusieurs revues internationales, promouvant la prise de décision partagée dans la rencontre médecin-patient comme nouvelle approche de communication7.8.
Objectifs
- Promouvoir la culture et l’implantation de la prise de décision partagée dans un nombre croissant de domaines de la cancérologie (tant dans les activités de diagnostic que de traitement ou de prévention), en favorisant :
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- La mise en place d’un processus décisionnel bilatéral, reconnaissant à la fois le savoir expérientiel et les préférences des patients, et les connaissances et l’expérience des professionnels de santé ;
- L’utilisation d’outils d’information et d’aide à la décision en support du processus de prise de décision entre professionnel de santé/équipe soignante et patient/proches.
Cette promotion passe par des actions de formation et d’enseignement auprès :
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- Des institutions membres d’Unicancer
- Des services et professionnels de santé demandeurs de cette mise en place dans leurs spécialités.
Promouvoir la recherche autour de la PDP en soutenant le développement de projets d’implantation et d’évaluation de la PDP, mais aussi la création d’outils de PDP, soit par la traduction et l’adaptation d’outils étrangers existants, soit par la création d’outils innovants9.
L’appui des experts du groupe collaboratif FREeDOM10 (collaboration francophone sur la prise de décision partagée) est proposé, tant dans les domaines de l’enseignement et de la recherche que de la communication auprès du grand public.
Éléments clés
La promotion de la PDP (culture, processus, outils), au sein des CLCC, dépend d’un double mécanisme qui s’inscrit dans une perspective systémique :
- Promotion « transversale », par domaine et spécialité, selon une diffusion et une acculturation sollicitée par les professionnels de santé et les services en lien avec les patients partenaires.
- Promotion « verticale », soutenue et portée par l’institution qui incite, dans le cadre d’un projet d’établissement par exemple, ses équipes, en lien avec les patients partenaires, à la mise en place d’une culture et d’une pratique de la PDP.
Bases éthiques, réglementaires et légales
En France, la promotion de la prise de décision partagée s’inscrit dans le prolongement d’une évolution initiée, après les États Généraux de la Santé en 1998, dès la loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé11. Outre que celle-ci introduit, dans le code de la santé publique (L. 1111-2), le droit à toute personne « d’être informée sur son état de santé », l’article L. 1111-4 précise que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte-tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé » ; « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne.» . Au-delà de l’accent mis, dès cette formule sur le consentement obligatoire, sur le droit au refus de la part du patient (« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement »), c’est bien l’implication active de l’usager dans la prise de décision concernant sa santé qui est soulignée et cette décision s’effectue avec le professionnel de santé. Si l’usager reste, de facto, le décideur en dernière instance (il demeure libre d’accepter ou non la proposition de traitement faite, et de l’appliquer ou non), le fondement est ici posé d’un nécessaire partage du processus décisionnel entre la personne et le professionnel de santé.
L’évolution sociétale, après avoir présidé à la genèse de la loi du 4 mars 2002, n’a fait qu’en confirmer ensuite les termes et la philosophie fondatrice. Car à côté des principes éthiques cardinaux de bienfaisance et de non-malfaisance, le principe d’autonomie de la personne s’inscrit de façon croissante, et aujourd’hui prééminente, dans les aspirations des usagers du système de santé. La prise de décision partagée est le fruit, avant tout culturel, de cette évolution. La prise de conscience de ce fondamental de l’éthique médicale transcende donc « la lettre » législative : elle ancre la Loi dans le respect des principes les plus absolus de l’éthique.
Les recommandations de la Haute Autorité de Santé en 2013 et 2018, inspirées de l’expérience et de la recherche anglo-saxonnes, ainsi que la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022, soutiennent fortement la co-décision entre les usagers de la santé et les professionnels de santé. La PDP est non seulement légitimée par des textes législatifs fondateurs et des recommandations officielles, mais elle constitue aussi et surtout un levier de l’éthique médicale, essentiel et profitable à la fois aux usagers et aux professionnels.
Panorama
La PDP est définie par 3 étapes caractéristiques12.13
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- L’échange d’informations est bilatéral ;
- La caractéristique déterminante de la délibération est sa nature interactive (c’est à dire entre le médecin/équipe soignante et le patient et ses proches éventuels) ;
- Les deux parties s’efforcent de parvenir à un accord et s’impliquent dans la prise de décision finale. Ainsi, la participation du patient ET du médecin à chaque étape du processus décisionnel est-elle essentielle.
Grâce à cet échange fondamental14, les professionnels de santé comprennent mieux les implications, spécifiques à chaque patient, de leurs préférences. C’est aussi cette compréhension relationnelle qui aide à reconnaître les aspects potentiellement contraignants du système de santé pour les patients. Une véritable relation bilatérale peut ainsi être réalisée, respectueuse de l’identité du patient, de ses préférences, de son projet de vie, et lui permettant de développer et d’exercer ses compétences d’autonomie dans la rencontre médecin-patient, mais aussi au-delà.
En pratique
Les différentes étapes de la PDP sont les suivantes15:
- Définir la situation
2. Identifier/dire qu’une décision est à prendre
3. Présenter les options de traitements/prise en charge
4. Discuter les bénéfices et risques potentiels
5. Identifier les préférences du patient
6. S’assurer de la bonne compréhension du patient
7. Prendre une décision/prévoir les étapes suivantes
Le partage de la décision est souhaité et promu, il n’est en aucun cas imposé au patient, qui peut choisir de laisser au professionnel la charge de la décision. Les 7 étapes de la prise de décision consistent en un processus d’échanges, qu’appuieront idéalement des outils d’information et d’aide à la décision16
Bibliographie
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- United Kingdom National Health Service Shared Decision-Making. 2020.
- Australian Commission on Safety and Quality in Health Care, Shared Decision-Making, 2015.
- Haute Autorité de Santé, Patients et Professionnels : Décider ensemble. 2013. [1] Ministère de la santé et des solidarités. Stratégie Nationale de Santé 2018-2022.
- Ministère de la santé et des solidarités. Stratégie Nationale de Santé 2018-2022.
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- Moumjid N, Durand MA, Carretier J, Charuel E, Daumer J, Haesebaert J, Hild S, Mancini J, Marsico G, Rat C, Zerbib Y, Vincent YM, Blot F. Implementation of shared decision-making and patient-centered care in France: Towards a wider uptake in 2022. Z Evid Fortbild Qual Gesundhwes. 2022 Jun;171:42-48. doi: 10.1016/j.zefq.2022.03.001. Epub 2022 May 21. PMID: 35606309.
- Durand MA, Alam S, Grande SW, Elwyn G. ‘Much clearer with pictures’: using community-based participatory research to design and test a Picture Option Grid for underserved patients with breast cancer. BMJ Open. 2016 Feb 2;6(2):e010008. doi: 10.1136/bmjopen-2015-010008. PMID: 26839014; PMCID: PMC4746463.
- Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000215460
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- Charles C, Gafni A, Whelan T. Decision-making in the physician-patient encounter: revisiting the shared treatment decision-making model. Soc Sci Med 1999 Sep;49(5):651-61.
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- Makoul G, Clayman ML. An integrative model of shared decision making in medical encounters. Patient Educ Couns. 2006 Mar;60(3):301-12. doi: 10.1016/j.pec.2005.06.010. Epub 2005 Jul 26. PMID: 16051459.
- Exemples : sites de l’OHRI, Canada (https://decisionaid.ohri.ca/francais/repertoire.html) et le site de la Collaboration francophone FREeDOM ( www.freedom-francophone.fr).