Suite au San Antonio Breast Cancer Symposium (SABCS), événement mondial majeur dédié au cancer du sein, la Pr Frédérique Penault-Llorca, Vice-Présidente d’Unicancer et Directrice générale du Centre Jean Perrin, et Sophie Beaupère, Déléguée générale d’Unicancer, reviennent sur les avancées scientifiques qui y ont été présentées par Unicancer et les Centres de lutte contre le cancer (CLCC).

Le SABCS 2025 a eu lieu du 9 au 12 décembre à San Antonio, aux États-Unis. Que représente cet événement ?

Sophie Beaupère : Le SABCS est l’un des plus grands rendez-vous internationaux consacrés au cancer du sein. L’occasion de partager à la communauté scientifique mondiale les résultats les plus attendus, où se confrontent les approches thérapeutiques et où se construit une vision commune des progrès à venir. Pour Unicancer, c’est l’occasion de démontrer la vitalité de la recherche menée dans les CLCC, mais aussi de nouer et renforcer des collaborations avec les plus grands centres mondiaux. Nous y portons une image forte de la recherche française : collaborative, innovante et structurée.

2ème
Le cancer du sein reste la 2e cause de décès par cancer dans les pays développés, après le cancer du poumon, et la première cause mondiale.
12 000
décès par an en France
90 %
Détecté à un stade précoce, un cancer du sein se soigne dans 90 % des cas.

Quelles ont été les contributions les plus marquantes d’Unicancer ?

Frédérique Penault-Llorca : Des avancées majeures nombreuses, avec entre autresla présentation orale, le 11 décembre, de l’étude AMBRE, sélectionnée en session “Rapid Fire Late Breaking Abstract”. C’est un signal fort : cela signifie que la communauté attendait des résultats susceptibles d’éclairer des décisions cliniques importantes voire de changer les pratiques.

En parallèle, Unicancer a présenté six posters issus de travaux portés par sa direction R&D (voir encadré), ainsi que des résultats majeurs issus des programmes CANTO (deux posters) et ESME (six posters) – deux cohortes uniques mettant à disposition des informations issues des données de vie réelle en cancérologie.

La R&D au SABCS 2025
La direction de la Recherche et du Développement d’Unicancer a présenté des travaux clés :
GERICO 11 – Adapter le traitement chez les patientes âgées
Chez des femmes de 70 ans ou plus, atteintes d’un cancer du sein de type « HER2- négatif », l’essai vise à déterminer si l’ajout d’une chimiothérapie sur 3 mois avant le traitement hormonal classique sur 5 ans apporte un vrai bénéfice supplémentaire pour les patientes identifiées à haut risque de rechute via un test génomique. Une question fondamentale pour mieux cibler les traitements au regard des bénéfices attendus et des risques (effets secondaires, fragilité, espérance de vie, qualité de vie).

PALATINE – Une approche multimodale pour les patientes métastatiques
L’essai évalue l’intérêt, en termes de survie générale, d’une thérapie combinée chez des patientes métastatiques nouvellement diagnostiquées, positives aux récepteurs des œstrogènes (ER+) et HER2-négatives (luminales). Il s’agit d’ajouter, à l’hormonothérapie et à l’inhibiteur de CDK4/6, un traitement local de la tumeur primitive.

MyPeBS – Personnaliser le dépistage du cancer du sein
Lancée en 2019 et financée par l’Union européenne, l’étude compare le programme de dépistage organisé dans sa forme actuelle (basé sur l’âge) avec une stratégie plus personnalisée et basée sur le risque individuel (âge, facteurs personnels, antécédents, densité mammaire, etc.). Elle a rassemblé plus de 53 000 femmes volontaires, âgées de 40 à 70 ans, recrutées dans 6 pays :  Belgique, Espagne, France, Israël, Italie et Royaume-Uni. L’objectif est d’optimiser ce dépistage : les femmes à risque élevé seraient suivies plus régulièrement, celles à faible risque moins, pour réduire les effets indésirables (stress, examens inutiles) sans compromettre la détection des cancers. Les résultats sont attendus pour 2027.

ETIC-LM – Une stratégie innovante pour les métastases leptoméningées
Les atteintes des membranes autour du cerveau et de la moelle épinière (métastases leptoméningées) sont difficiles à traiter car de nombreux médicaments ne pénètrent pas bien dans le liquide cérébro-rachidien. L’essai associe un traitement oral à un anticorps ciblé (Trastuzumab), injecté directement dans ce liquide cérébro-rachidien pour améliorer la pénétration et l’efficacité. Cet essai explore un terrain où les options sont limitées : c’est un espoir pour les patients et patientes concernés.

CAPPA – Améliorer la prise en charge des cancers triple négatifs sans réponse complète
L’essai cible des patientes atteintes d’un cancer du sein triple négatif, chez qui le traitement néoadjuvant puis la chirurgie ne sont pas parvenus à éliminer complètement la tumeur. Après la chirurgie, ces patientes reçoivent un traitement combinant une chimiothérapie orale (capécitabine) et une immunothérapie (pembrolizumab). L’étude cherche à savoir si ce traitement adjuvant combiné peut améliorer la survie sans maladie, et réduire le risque de récidive.

OPT-PEMBRO – Alléger le traitement après une réponse complète
Cet essai s’adresse à des patientes ayant un cancer du sein triple négatif, en début de maladie non métastatique, qui ont montré une réponse complète après un traitement néoadjuvant (chimiothérapie et immunothérapie). L’objectif : tester si, après la chirurgie, on peut éviter l’adjuvant pembrolizumab sans diminuer l’efficacité. Au-delà des économies réalisées, cela pourrait alléger les traitements, qui peuvent avoir des effets secondaires indésirables, sans compromettre les chances de guérison.

Très attendue, l’étude AMBRE a présenté ses principaux résultats. Quels sont-ils ?

F. P.-L. : Mené par le French Breast Cancer InterGroup Unicancer (UCBG), AMBRE est un essai de phase 3 particulièrement important. Il compare deux traitements standards – la chimiothérapie et l’association d’une hormonothérapie avec un inhibiteur de CDK4/6 (abémaciclib) – en tant que traitement métastatique initial chez des patientes atteintes d’un cancer du sein ER+/HER2- présentant des métastases viscérales et une maladie à charge élevée. Ce sont des situations où les choix thérapeutiques sont cruciaux et parfois limités. Les résultats de l’étude, dévoilés lors du congrès sous forme de Late Breaking Abstract, pourraient éclairer de futurs positionnements thérapeutiques.  Ils montrent que la progression de la maladie est retardée avec l’association hormonothérapie + inhibiteur (13,9 mois de survie sans progression) par rapport à la chimiothérapie (7 mois). La réponse est aussi plus durable et aucun nouvel effet indésirable n’a pas détecté. Ces résultats soutiennent l’utilisation de ce traitement comme option standard. Cette innovation thérapeutique est un pas décisif vers un changement des pratiques cliniques en cas de cancer du sein métastatique. Unicancer est fier de porter cet essai ambitieux et de contribuer à l’avancée des traitements pour les patientes.

Les programmes CANTO et ESME ont aussi été très visibles. Quels enseignements apportent-ils ?

S. B. : Complémentaires aux essais cliniques, les données de vie réelle sont essentielles pour ajuster les pratiques et accélérer la transition vers une médecine réellement personnalisée.

Avec CANTO, nous suivons sur le long terme plus de 12 000 patientes ayant eu un cancer du sein localisé, ce qui nous permet notamment de mieux comprendre les effets tardifs des traitements ou les rechutes. Par exemple, un poster a présenté l’analyse des bénéfices de la chirurgie axillaire ciblée après une chimiothérapie néoadjuvante chez les patientes atteintes d’un cancer du sein précoce, un autre les facteurs de rechute précoce ou tardive dans les cancers triple négatifs.

Avec ESME, nous documentons de manière unique ce qui se passe dans la vraie vie : l’efficacité des traitements ciblés, les raisons des changements de thérapie, les profils qui répondent le mieux à certaines approches. Les six posters couvraient un spectre particulièrement riche :

  • 5 ans de données sur l’efficacité de l’inhibiteur de CDK4/6 palbociclib couplé à l’hormonothérapie, montrant une survie et une durée de traitement comparables aux essais randomisés à condition de bien choisir les intervalles sans traitement.
  • les effets d’une thérapie ciblée, à base d’inhibiteurs de PARP, chez des patientes porteuses d’une mutation — héréditaire (PALB2 germinale) ou acquise (BRCA1/BRCA2 somatique) — qui rend les cellules cancéreuses plus dépendantes de l’enzyme PARP pour survivre.
  • les difficultés d’inclusion en essais cliniques pour les cancers lobulaires métastatiques qui sont rarement éligibles (du fait de leur morphologie diffuse qui rend les tumeurs non mesurables) alors qu’ils représentent 10 à 15 % de l’ensemble des cancers du sein.
  • l’intérêt d’un changement d’inhibiteur de CDK4/6 en cas de toxicité ou après progression sans perte de chance.
  • la reproductibilité en vie réelle des données du bras standard de l’essai clinique PATINA montrant l’efficacité de l’ajout d’un inhibiteur de CDK4/6 au traitement d’entretien standard, permettant d’allonger le temps avant progression de la maladie.

Ces analyses confirment la valeur unique de ces bases de données françaises. Je suis particulièrement fière de la qualité et de la diversité des travaux présentés cette année. Ils témoignent du dynamisme de nos équipes, de la force de notre modèle coopératif et de notre engagement quotidien pour faire progresser la prise en charge des patientes.

Comment ces travaux s’intègrent-ils à la stratégie globale d’Unicancer ?

S. B. : Nous avons construit un modèle où la recherche clinique, la recherche translationnelle et les données de vie réelle se complètent. Cette articulation entre essais, biologie et données massives renforce notre capacité à poser les bonnes questions cliniques et comprendre les mécanismes biologiques, mais aussi à documenter l’efficacité des traitements dans la vraie vie. Cette approche intégrée fait d’Unicancer un acteur unique en Europe, qui peut avoir un impact fort sur les pratiques et les politiques de santé. À travers AMBRE, CANTO, ESME et nos essais multicentriques, nous montrons qu’Unicancer est un moteur essentiel de l’innovation en cancérologie et un contributeur de premier plan au débat scientifique mondial.