Au sortir de la guerre, le général de Gaulle signe une ordonnance qui va marquer un tournant décisif dans l’histoire du système de santé français, en donnant un cadre juridique unifié et des principes de fonctionnement communs aux Centres de lutte contre le cancer (CLCC). Huit décennies plus tard, cet acte visionnaire reste le socle sur lequel repose le modèle original et performant des CLCC, réunis aujourd’hui sous la bannière d’Unicancer.
Bombardements, bâtiments réquisitionnés, médecins déportés, traitements interrompus… Malgré la guerre, la quinzaine de centres anticancéreux créés depuis la circulaire de 1922 (voir encadré) ont continué tant bien que mal à fonctionner. Ils ont maintenu leur mission : soigner les malades et préserver, autant que possible, les stocks de radium indispensables à ces soins.
| 1922 : aux origines d’une ambition nationale Dès les années 1920, la lutte contre le cancer commence à s’organiser en France. Le 25 novembre 1922, Paul Strauss (alors ministre de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales) adresse une circulaire à l’ensemble des préfets de France pour fixer les principes de fonctionnement des premiers centres spécialisés. Entre 1923 et 1929, une quinzaine de centres anticancéreux régionaux voient le jour, dont Bordeaux, Montpellier, Lyon, Strasbourg, Nancy, Toulouse, Marseille et Paris. Ils sont diversement rattachés à un hôpital, une faculté, une école ou une fondation. « Ces centres pluridisciplinaires étaient pionniers, mais leur statut restait fragile, leur financement précaire, et les possibilités de prise en charge souvent limitées aux indigents. », explique Thierry Conroy. |
Dès 1945, la France libérée veut construire son avenir et rebâtir la société française sur des bases modernes et équitables. Elle entreprend notamment une refondation profonde de son système de santé. Le 1er octobre 1945, le général de Gaulle signe une ordonnance qui change le destin des centres anticancéreux, fragilisés mais considérés comme indispensables. Ce texte fondateur consacre la dénomination de « Centres de lutte contre le cancer » (CLCC) et les reconnaît comme établissements de santé d’utilité publique, exclusivement dédiés à la cancérologie. Il leur donne donc un statut, mais surtout quatre missions claires : les soins, la prévention, la recherche et l’enseignement.
Un tournant historique
« L’ordonnance de 1945 a donné aux centres une autonomie et une assise juridique, leur permettant de répondre aux enjeux de la lutte contre le cancer. », résume Thierry Conroy, qui a écrit plusieurs articles sur le sujet dans ITO, la revue scientifique d’Unicancer. Huit décennies plus tard, cette vision demeure le socle du modèle Unicancer, toujours guidé par la même exigence : offrir à chaque patient une prise en charge d’excellence, combinant humanisme, solidarité et innovation.

Pour cela, le texte apporte plusieurs avancées majeures. D’abord, une indépendance financière, la reconnaissance de la personnalité juridique et la possibilité de recevoir dons et legs au-delà d’un financement par l’Assurance maladie. Les centres deviennent autonomes par rapport aux universités et aux autres hôpitaux. Ensuite, une gouvernance originale, confiée à des médecins spécialistes du cancer, professeurs des universités-praticien hospitalier (PU-PH) nommés par le ministre de la Santé, et un conseil d’administration présidé par le préfet. Enfin, la confirmation du caractère pluridisciplinaire indispensable au traitement des cancers, avec obligation d’associer un service de chirurgie, un service de radiologie, et au moins un médecin spécialiste en cancérologie, un en ORL et un en anatomopathologie[1].

Cet acte novateur place la France à l’avant-garde d’une organisation moderne de la cancérologie, centrée sur les besoins des patients et fondée sur l’excellence scientifique. Le maillage territorial est avant-gardiste et garantit un égal accès aux soins pour tous. « Acte visionnaire, l’ordonnance a posé les bases d’une prise en charge équitable et d’excellence pour tous, sur l’ensemble du territoire. », explique Jean-Yves Blay, président d’Unicancer et directeur général du Centre Léon Bérard à Lyon.
Un modèle pour le futur
L’ordonnance ouvre la voie à l’agrément des centres existants dans les années qui suivent (Villejuif, Bordeaux, Nancy, Toulouse, Montpellier puis Strasbourg, Angers, Reims, Lille, Lyon, Marseille et Caen, enfin Rennes) et à l’ouverture de nouveaux centres (Nice, Saint-Cloud, Dijon, Rouen, Clermont-Ferrand), constituant progressivement un véritable maillage territorial. Elle est incluse en 1953 dans le Code de la santé publique. En 1964, la création de la Fédération nationale des Centres de lutte contre le cancer marque une nouvelle étape : elle permet de représenter les établissements auprès des pouvoirs publics et de mutualiser leurs actions.
Cette dynamique s’amplifie au XXIe siècle. En 2011, la Fédération et le Groupement de coopération sanitaire se regroupent sous le nom d’Unicancer, renforçant l’unité et la visibilité du réseau. En 2018, la marque-label partagée « Unicancer » traduit l’identité commune des 18 CLCC et des deux membres affiliés.
Depuis 80 ans, des milliers de femmes et d’hommes ont fait et font vivre, au quotidien, cette mission d’intérêt public née d’une vision à long terme et d’une volonté politique forte. « L’histoire d’Unicancer est indissociable de celle des Centres de lutte contre le cancer, traduit Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer. Elle est constitutive de l’excellence qu’ils incarnent et des succès collectifs qu’ils ont permis. Un modèle unique, auquel nous devons rendre hommage non seulement en le célébrant, mais en continuant à le défendre, à l’adapter et le promouvoir. »
En savoir plus : Jean-Yves Blay, Sophie Beaupère. L’héritage de l’ordonnance de 1945 fondant les centres de lutte contre le cancer : une vision d’avant-garde, un modèle pour le futur. Innovations & Thérapeutiques en Oncologie. 2025;11(3):132-133. doi:10.1684/ito.2025.519
[1] L’étude des altérations des tissus et cellules provoquées par une maladie.